Blood-sex c’est l’histoire de deux frères débiles reclus dans leur tannerie désaffectée qui kidnappent deux filles pour leur faire subir tous les outrages. C’est aussi l’histoire d’un écrivain, celui de la première histoire, qui ne peut continuer à écrire son histoire que s’il s’adonne à son passe-temps favori : violer et tuer des gens.
Blood-sex est un des titres les plus célèbres de la collection Gore. Un des plus célèbres car il suscita la controverse par sa violence. Sous ce délicieux patronyme de Nécrorian se cache l’écrivain Jean Mazarin, auteur-maison du fleuve noir, qui avait déjà à l’époque signé de nombreux ouvrages dans les collections Spécial-Police et Anticipation. Fan depuis longtemps des films d’horreur italiens et américains (Hooper, Romero, Fulci…), il sauta sur l’occasion à la création de la collection Gore par Daniel Riche pour lui proposer ce Blood-sex.
Riche lui-même publia l’ouvrage avec méfiance. Il se demandait comment le titre allait être perçu et si la censure n’aillait pas lui tomber dessus. Il se demandait aussi si l’on pouvait aller si loin dans la violence. Il était pris, pourrait-on dire à son propre piège. Je m’explique : il avait décidé de lancer une collection dont le nom était « gore », il instituait en genre à part entière, ce qui n’était encore qu’un adjectif collé à certains récits fantastiques ou thriller; et voilà qu’un auteur français le prenait au pied de la lettre et écrivait un roman qui n’était QUE « gore ».
En apparence, on peut se demander ce qui sépare le récit de Nécrorian des autres slashers américain dont il reprend tout le background. La différence notable c’est que dans un slasher américain classique, on a généralement un héros positif à qui se raccrocher. Les tueurs de Scream sont horribles, mais on est de tout cœur avec l’héroïne qui arrivera à les vaincre. Nécrorian, moins empreint de moralité que l’américain de base, ne nous offre pas un héros positif à qui se raccrocher, il s’amuse même à faire de ses personnages de parfaites victimes. Il nous place seulement du côté des tueurs psychopathes et décrit avec complaisance leurs actes. L’un des seuls véritables enjeux narratifs sera la question de savoir jusqu’où l’inventivité et le sadisme du tueur va aller.
Ce qui choqua aussi à l’époque, et peut toujours choquer aujourd’hui, c’est le mélange de gore et de pornographie. Une scène débutant de manière excitante, devient tout d’un coup sanglante et horrible. Nécrorian adore passer du chaud ou froid, jouant sur une alternance « attraction-répulsion » déroutante. Le mélange est d’autant plus détonnant qu’il est tout à fait logique, il y a entre les deux un lien évident, simple, dans les deux cas, il s’agit de tout montrer.
Là où le livre se fait un peu plus subtil, c’est en doublant son récit dès le deuxième chapitre. On y sort du roman pour faire connaissance avec l’écrivain du premier chapitre et on découvre que l’homme qui écrit ses horreurs est lui-même un parfait tueur psychopathe. La suite du roman va dès lors alterner entre les deux niveaux du récit jusqu’à une pirouette finale où Nécrorian arrivera à placer son lecteur aussi dans le récit. La boucle est bouclée, elle ne résout rien, ne dit pas grand-chose sur les réelles intentions de Necrorian si ce n’est qu’il faut s’amuser, que ce n’est que de la littérature, un peu facile certes, mais que le plaisir est dans la transgression même.
Au-delà de cela, la complaisance dans la violence peut déplaire, elle me déplait en partie. L’écriture n’est pas d’une très grande qualité littéraire, l’intrigue n’a aucune subtilité particulière et si l’on ne s’ennuie pas, c’est parce que c’est très court. Mais ce livre constitue, selon Daniel Riche, dans son genre une espèce de passage à la limite. Autrement dit : une voie de garage, qu’il fallait explorer une fois, mais qui ne sera pas à décliner à l’infini. Pour cette raison, la lecture de Blood-sex est instructive, elle est un jalon important dans une collection où d’autres choses seront tentées, avec plus de talent et de qualité. D’autres français arriveront à écrire d’autres romans tout aussi gore mais en explorant d’autres voies, plus psychologiques (G.J. Arnaud avec Grouillements), plus métaphysiques (Corsélien avec L’état des plaies), plus sociales (Pelot avec Aux chiens écrasés). Nécrorian leur a peut-être montré, indirectement les limites d’un genre pris au pied de la lettre et l’obligation des les repousser.
Ma note : 5,5/10