mercredi 8 septembre 2010

Houellebecq Michel - La carte et le territoire - Flammarion, 2010, 450 pages, 22€

Auréolé d’un buzz dont aucun autre auteur de la rentrée littéraire ne bénéficie, Michel Houellebecq revient sur le devant de la scène littéraire après cinq ans d’absence. Son nouveau roman « La carte et le territoire » fait couler beaucoup d’encre. Pourtant il s’annonce d’emblée comme moins polémique que ses prédécesseurs, tant l’homme semble, tout en restant fidèle à lui-même, cultiver un rapport distancié à son propre désespoir et celui de son époque.

L’ouvrage retrace la vie et l’itinéraire artistique de Jed Martin, artiste photographe et peintre (fictif), double supposé de Michel Houellebecq, sur un ton satirique réjouissant. Il nous raconte son ascension artistique, sa célébrité acquise par ses photographies de cartes Michelin, ses remises en question successives, ses rapports avec son père, le naufrage de sa vie affective… et ses rencontres avec Michel Houellebecq.

Et c’est là que le roman prend la forme d’un délicieux kaléidoscope, car s’il se moque au passage de nombreuses personnalités (son ami Beigbeder, Jean-Pierre Pernaut…), c’est à lui-même qu’il inflige les plus grandes outrances. Se décrivant comme un être solitaire proche de la folie, il prouve qu’il est capable d’auto-dérision. Celui que ses détracteurs les plus virulents décrivent comme un nihiliste cynique et misanthrope joue de son image et dresse, à la troisième personne, une caricature saisissante et réellement drôle de lui-même.

Quant à Jed Martin, plus proche sans doute du vrai Houellebecq que de l’écrivain présenté dans cette auto-caricature, il est un être plus stoïque que cynique, certes en partie incapable de d’insérer en société mais conscient, en toute modestie, de sa finitude d’être humain. On trouvera dans ce roman des passages bouleversants sur les rapports de Jed Martin à son père, ainsi que sur la fin de sa propre existence.

Mais attention, il ne faudra pas prendre ce roman pour ce qu’il n’est pas. Si Houellebecq renouvelle et transcende de manière toute personnelle le genre trop seriné de l’autofiction, il ne parle pas que de lui-même. La variété des thèmes qui traversent le roman est impressionnante. Il y est question de société de consommation, d’économie, de peinture, de philosophie de l’architecture, de la société médiatique et ses aléas… mais c’est surtout aux questions fondamentales que revient Houellebecq, celle de l’écart supposé ou non entre le monde (le territoire) et sa représentation (la carte). Celle de la finalité d’une existence et de la possibilité du dépassement de soi-même dans le néant métaphysique.

Et on terminera en s’étonnant du mystère Houellebecq : comment un homme si reclus dans sa tour d’ivoire d’écrivain solitaire, arrive-t-il a ressentir et transmettre la tonalité d’une époque, à décrire avec autant d’acuité et de détachement l’état moral d’une société et d’une pensée française qui a perdu tous ses idéaux ? N’est-ce pas là l’apanage des grands écrivains ?

Ma note : 9/10