vendredi 19 août 2011

Fontana Jean-Pierre - La Jaune - Fleuve Noir Anticipation n°1451, 185p., 1986

Nous sommes dans une ville en pleine évacuation. C’est la panique, un gaz étrange sème la mort au gré du vent et des courants d’air. A cause de sa couleur, il a été baptisé : la jaune. Les humains qui croisent son passage meurent dans les minutes qui suivent, les poumons asphyxiés, la peau brulée. C’est le chaos, les habitants fuient, les pillages se multiplient, tout ceux qui n’ont plus rien à perdre, clochards, drogués, délinquants et autres renégats sont restés. Ils s’organisent en groupe pour survivre et ils ne se feront pas de cadeaux.

On le comprend très vite, on n’en saura pas beaucoup plus sur la cause et la nature de la « Jaune ». Ce n’est pas le sujet de Fontana. Il s’intéresse plus à la question de la survie et à la modification progressive de l’environnement des survivants. Le gaz monte de plus en plus, à la manière d’un liquide, et oblige les protagonistes à prendre de la hauteur et à se déplacer de toit en toit. Dès lors on a affaire à un récit d’aventure plutôt classique qui va se jouer sur un laps de temps plutôt court (deux ou trois jours).

C’est là, à mon sens, que sur un sujet analogue, Fontana fait moins fort que Serge Brussolo. Dans crache-béton, avec un sujet proche (une ville sous les pluies dévastatrices de cailloux), il nous racontait l’organisation nouvelle d’une société qui avait du s’adapter au changement. Et l’imagination fertile du maitre y faisait merveille. « La jaune », en revanche, est un récit sympathique mais un peu plat. On a du mal à s’attacher aux personnages, on ne s’ennuie pas le temps de la lecture, car il y a beaucoup d’action, mais il nous reste peu d’image en tête une fois le livre achevé.

Ma note : 6/10

Oster Christian - Rouler - Editions de l'Olivier, août 2011

« J’ai pris le volant un jour d’été, à treize heures trente », le lecteur n’en saura pas beaucoup plus sur Jean, cet homme qui a pris la direction de Marseille, ville qu’il ne connait pas, et qu’il espère ne pas rejoindre trop vite. Car si l’individu a pris la route, c’est pour oublier quelque chose… Un évènement qui a du ébranler sa vie. Une vie qu’il faut continuer, malgré tout. Peut-être est-ce là le but ? Avancer, laisser surgir l’imprévu, la rencontre fortuite pour réapprendre ce que le verbe « vivre » veut dire. Peut-être s’agit-il de trouver l’endroit, celui où l’âme pourra enfin se regarder et trouver un début d’apaisement.

Christian Oster nous fait regarder le monde à travers le regard particulier d’un homme perdu qui porte sur ses congénères humains un regard froid, extérieur, presque glacé. Jean dissèque chaque geste, interprète chaque comportement avec une acuité digne d’un psychologue comportementaliste, à moins que cela soit celle d’un éthologue à la recherche de l’animal humain.

Le roman semble construit comme le voyage de son narrateur, de manière erratique, sans plan préalable. Déroutant mais juste, tant la forme et le fond imposent leur adéquation, il diffuse une mélancolie rare. Une forme de spleen.

Le voyage sera aussi intérieur qu’extérieur, aux résonnances existentialistes. Aride pour les uns, résolument humain pour d’autres, ce livre divisera certainement. L’originalité du regard qu’il porte sur le monde est à ce prix.




8/10


Nécrorian Charles - Blood-sex - Fleuve Noir Gore n°5, 1985, 155p.

Blood-sex c’est l’histoire de deux frères débiles reclus dans leur tannerie désaffectée qui kidnappent deux filles pour leur faire subir tous les outrages. C’est aussi l’histoire d’un écrivain, celui de la première histoire, qui ne peut continuer à écrire son histoire que s’il s’adonne à son passe-temps favori : violer et tuer des gens.

Blood-sex est un des titres les plus célèbres de la collection Gore. Un des plus célèbres car il suscita la controverse par sa violence. Sous ce délicieux patronyme de Nécrorian se cache l’écrivain Jean Mazarin, auteur-maison du fleuve noir, qui avait déjà à l’époque signé de nombreux ouvrages dans les collections Spécial-Police et Anticipation. Fan depuis longtemps des films d’horreur italiens et américains (Hooper, Romero, Fulci…), il sauta sur l’occasion à la création de la collection Gore par Daniel Riche pour lui proposer ce Blood-sex.

Riche lui-même publia l’ouvrage avec méfiance. Il se demandait comment le titre allait être perçu et si la censure n’aillait pas lui tomber dessus. Il se demandait aussi si l’on pouvait aller si loin dans la violence. Il était pris, pourrait-on dire à son propre piège. Je m’explique : il avait décidé de lancer une collection dont le nom était « gore », il instituait en genre à part entière, ce qui n’était encore qu’un adjectif collé à certains récits fantastiques ou thriller; et voilà qu’un auteur français le prenait au pied de la lettre et écrivait un roman qui n’était QUE « gore ».

En apparence, on peut se demander ce qui sépare le récit de Nécrorian des autres slashers américain dont il reprend tout le background. La différence notable c’est que dans un slasher américain classique, on a généralement un héros positif à qui se raccrocher. Les tueurs de Scream sont horribles, mais on est de tout cœur avec l’héroïne qui arrivera à les vaincre. Nécrorian, moins empreint de moralité que l’américain de base, ne nous offre pas un héros positif à qui se raccrocher, il s’amuse même à faire de ses personnages de parfaites victimes. Il nous place seulement du côté des tueurs psychopathes et décrit avec complaisance leurs actes. L’un des seuls véritables enjeux narratifs sera la question de savoir jusqu’où l’inventivité et le sadisme du tueur va aller.

Ce qui choqua aussi à l’époque, et peut toujours choquer aujourd’hui, c’est le mélange de gore et de pornographie. Une scène débutant de manière excitante, devient tout d’un coup sanglante et horrible. Nécrorian adore passer du chaud ou froid, jouant sur une alternance « attraction-répulsion » déroutante. Le mélange est d’autant plus détonnant qu’il est tout à fait logique, il y a entre les deux un lien évident, simple, dans les deux cas, il s’agit de tout montrer.

Là où le livre se fait un peu plus subtil, c’est en doublant son récit dès le deuxième chapitre. On y sort du roman pour faire connaissance avec l’écrivain du premier chapitre et on découvre que l’homme qui écrit ses horreurs est lui-même un parfait tueur psychopathe. La suite du roman va dès lors alterner entre les deux niveaux du récit jusqu’à une pirouette finale où Nécrorian arrivera à placer son lecteur aussi dans le récit. La boucle est bouclée, elle ne résout rien, ne dit pas grand-chose sur les réelles intentions de Necrorian si ce n’est qu’il faut s’amuser, que ce n’est que de la littérature, un peu facile certes, mais que le plaisir est dans la transgression même.

Au-delà de cela, la complaisance dans la violence peut déplaire, elle me déplait en partie. L’écriture n’est pas d’une très grande qualité littéraire, l’intrigue n’a aucune subtilité particulière et si l’on ne s’ennuie pas, c’est parce que c’est très court. Mais ce livre constitue, selon Daniel Riche, dans son genre une espèce de passage à la limite. Autrement dit : une voie de garage, qu’il fallait explorer une fois, mais qui ne sera pas à décliner à l’infini. Pour cette raison, la lecture de Blood-sex est instructive, elle est un jalon important dans une collection où d’autres choses seront tentées, avec plus de talent et de qualité. D’autres français arriveront à écrire d’autres romans tout aussi gore mais en explorant d’autres voies, plus psychologiques (G.J. Arnaud avec Grouillements), plus métaphysiques (Corsélien avec L’état des plaies), plus sociales (Pelot avec Aux chiens écrasés). Nécrorian leur a peut-être montré, indirectement les limites d’un genre pris au pied de la lettre et l’obligation des les repousser.

Ma note : 5,5/10


mardi 16 août 2011

Pelot Pierre - Aux chiens écrasés - Fleuve Noir, Gore n°59, 1987


Aux chiens écrasés n’est pas un très gros roman. 150 pages comme tous les volumes de la collection Gore, certes, mais qui plus est, avec une grande taille de caractère. On a donc plutôt la sensation d’avoir affaire à une grosse nouvelle qu’un roman, d’autant que la quasi-totalité de l’action se déroule en une soirée et que son rythme incite à en lire la totalité d’une traite.

Difficile de raconter le roman sans déflorer l’intrigue au lecteur potentiel. Sachez qu’il est question de ce qui peut arriver quand une petite fille de 5 ans et son petit frère, bébé de quelques mois, se retrouvent enfermés dans une maison aux pièces qui ne ferment pas avec un chien affamé depuis quinze jours. C’est donc tout à fait malsain, gore et politiquement incorrect. Pelot sait distiller l’angoisse et le suspense sans trop se forcer, comme un vieux routard du roman sûr de ses effets. Et même si la révélation finale sent un tout petit peu le pétard mouillé, on a passé un bon moment à lire cette histoire horrifique qui ravira les amateurs de sensations fortes. Pas une œuvre majeure donc (mais est-ce que l’on attend d’un « Gore » ? ) , mais de la littérature trash dans laquelle un vieux briscard de la littérature populaire s’amuse à nous horrifier.

Ma note : 6,5/10