mercredi 28 janvier 2009

Dermeze, Yves - L'image de l'autre - Le Masque Science fiction 7, 1974

Cet étrange récit commence comme ainsi : un terrien se retrouve, sans qu’il sache comment, ni pourquoi, sur une planète rouge éclairée par trois soleils bleus. Très vite, il découvre qu’il est le jouet d’une force supérieure, plus précisément qu’il est l’image, projeté dans un autre espace-temps, d’un être humain,. Il s’appelle Mic, il est le double et le jouet de Michel.

Sur cette planète (réelle ou imaginaire ?), il rencontre Karol, elle aussi, image d’une terrienne, Caroline. Entre ces deux doubles, et malgré les multiples péripéties qu’ils vont subir, va naître une idylle. Mais c’est sans compter sur les êtres dont ils sont les images qui, en compétition, vont les ballotter d’une univers à l’autre, d’une époque à une autre.

Ce roman signé Yves Dermeze, que les habitués du Fleuve Noir Anticipation connaissent mieux sous le nom de Paul Béra, est plein de défauts : une certaine linéarité dans le déroulement de l’intrigue, des explications parfois un peu poussives, des raccourcis narratifs et quelques facilités scénaristique un peu déconcertantes et le sentiment qui peut atteindre le lecteur d’avoir affaire à un étrange objet littéraire fait de bric et de broc. Heureusement ces nombreux défauts sont magistralement contrebalancés par des qualités rares. La première, en non la moindre quand il s’agit de science-fiction, c’est l’originalité. Difficile de prétendre, même si on est un gros lecteur du genre, d’avoir déjà lu ce roman. La deuxième, c’est l’imagination débridée dont fait preuve l’auteur. Il ne contient jamais ses idées dans un cadre vraisemblable et son roman, bien que partant dans tous le sens, regorge d’idées absurdes, parfois moyennes, très souvent excellentes.

Et puis surtout, il y a ce vertige quand on examine de plus près les thèmes et le sens qu’on peut donner à cette intrigue farfelue si l’on tend à la considérer comme une parabole et une fable. Forcément, on pense au thème du créateur et de sa création, du rapport entre un écrivain et son personnage, et à ce titre « L’image de l’autre » est allégorie de la création artistique. C’est dans ce sens que l’analyse Jean-Pierre Fontana dans sa chronique parue dans la revue Fiction 254 (http://www.noosfere.com/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146563151).


Personnellement, je trouve que sur ce thème, on a fait nettement plus fort. « Le syndrome du scaphandrier » de Serge Brussolo, par exemple. Ce qui est bien plus intéressant et important, je pense, ce que « L’image de l’autre » ne concerne pas seulement les rapports entre le créateur et sa création, mais aussi entre un homme et une femme, et l’image que chacun projette à l’autre. Allégorie de la relation amoureuse et son cortège de faux-semblants, le récit s’avère d’autant plus réussi qu’on n’y trouvera pas la moindre trace de guimauve ou de romance facile ! C’est de l’hypocrisie dans le rapport à l’autre au sein du couple naissant qu’il est question ! Avec une finesse d’observation des comportements assez rare, Dermeze nous pond tout le contraire d’un Harlequin. Ce dernier nous cantonnerait dans l’illusion, Dermeze dénonce la supercherie amoureuse avec acuité, amusement et distance.
Ma note : 8/10

mercredi 14 janvier 2009

Andrevon, Jean-Pierre - Comme une odeur de mort - Fleuve Noir Gore 85, 1989

Freddy Amalric, la quarantaine, a tout réussi dans la vie, ses affaires tournent, sa jeune femme, Claudie, et sa maison sont superbes. Tout irait bien dans le meilleur des mondes si un jour une ombre n’était venue obscurcir le beau tableau : sa femme le trompe avec un de ses plus vieux amis, Roland Coratin, ancien compagnons de régiment, cascadeur professionnel et tombeur avéré. La rage de Freddy est grande, pour lui, il ne reste qu’une solution : éliminer son rival, purement et simplement. Il met alors en branle son plan, son crime parfait. La seule chose qu’il n’avait pas prévu c’est que sa victime refuserait à ce point de mourir et reprendrait vie à chaque fois que Freddy avait la certitude de l'avoir tué.

On peut se demander ce que ce roman fait dans la collection "Gore". Il aurait pu sans peine entrer dans la collection "Spécial-police". On a là tous les ingrédients du polar; certes agrémentés de surnaturel, mais rien dans ce roman ne fonctionne sur le mode de l’épouvante. C’est plutôt du côté du fantastique classique qu’il faut chercher. Quelque part entre Poe et Bloch. Quoiqu’il en soit ce court roman (cette grosse nouvelle, serait-on tenté de dire) est d’une lecture rapide et agréable. Il y a bien quelques instants où l’on s’ennuie car on a très vite compris la logique du récit, mais sur une distance aussi courte (155 pages), le récit fonctionne plutôt bien. Andrevon s’est ingénié à faire de son personnage principal, beauf parfait, un être assez détestable et on jubile de le voir sombrer peu à peu dans les pires tourments.
Ma note : 7/10

lundi 12 janvier 2009

Arnaud, G.-J. - Grouillements - Fleuve Noir Gore 28, 1986

Lisa Monteuil, vingt-cinq ans, professeur d’histoire et de géographie croit devenir folle lorsqu’elle retrouve dans sa classe, le sosie d’un garçon dont elle était éperdument et secrètement amoureuse dix ans plus tôt. Loïc Gordon, c’est son nom, ressemble à s’y méprendre à son ancien béguin d’adolescente, Michel Rivière. Mais est-ce vraiment un hasard ? Et si Michel Rivière et Loïc Gordon n’était qu’une seule et même personne ? Et si cet être, ainsi que les autres membres étranges de sa famille avait trouvé le moyen d’arrêter le temps ? Et si tout cela avait un lien avec les petits monticules d’asticots trouvés ça et là dans certains endroits de l’école ? Toutes ces questions n’empêcheront pas Lisa de succomber sous les charmes de l’adolescent, dont la maturité semble étonnante.

Arnaud envisage dans ce roman une dimension « gore » pour le moins originale. Pas d’effusion d’hémoglobine ici, tout est basé sur l’existence d’asticots étranges, appelés « loms » et de leur appétit pour la chair humaine. Ceux-ci ont la propriété d’investir un corps, de le parasiter et de le dévorer tout en maintenant leur victime en vie. Ce qui permet, délice suprême, à la victime de se voir dévorée progressivement. Pour la crédibilité scientifique de l’affaire, on repassera. Mais d’un point de vue narratif, cela donne lieu à quelques scènes d’horreur particulièrement saisissantes. Ce qui rajoute du trouble à cette étrange histoire est la dimension érotique de l’ouvrage. Là, ça devient carrément divinement dégoûtant. Et la description des pulsons sexuelles féminines de Lisa envers son jeune élève de quinze ans dont le corps est habités par une colonie de loms laisseront au lecteur un bon petit paquet de sensation étranges.

Voilà le genre de bouquin qui remplit son but : montrer le corps humain dans tous ses états, mettre en scène à la fois les pulsions sexuelles et la destruction du corps comme s’il ne s’agissait que d’une seule et même chose. Habile et troublant, ce livre se dévore.
Ma note : 7,5/10

jeudi 8 janvier 2009

Cooper, Edmund - Le jour des fous (All fools' day) - Marabout Science-fiction, 1971 (année de la version originale : 1966)

Juillet 1971. C’est l’été, il fait chaud. Le soleil est sur toute l’angleterre. Mais le soleil ne se contente pas d’envoyer ses rayons habituels, mais aussi des radiations d’un type nouveau. Ces dernières poussent, jour après jour, la population du monde entier au suicide. Au fil des années, la situation se dégrade, c’est peu à peu l’hécatombe, comme toutes les nations, l’Angleterre perd ses forces vives, la société se désagrège. D’autant que les seuls survivants semblent être les gens anormaux. Les fous, les artistes, les scientifiques… bref tout ceux dont le cerveau fonctionnait déjà en dehors des schémas de la normalité. Dans ce monde déstructuré, en proie à la violence et à la folie des hommes. Gréville, loup solitaire, essaie de survivre. Il se pense normal, mais est-ce vraiment le cas d’un homme qui a tenté de se tuer lui et son épouse Pauline dans un accident de voiture sur le pont de Chelsea, à Londres ? Elle morte, il a survécu, et a assisté avec une certaine indifférence à la désagrégation d’un monde qui a perdu tout sens. Un jour de pèlerinage sur le pont de Chelsea, il rencontre Liz, une jeune femme poursuivie par une meute de chiens sauvages qu’il sauve d’une mort certaine. Cette dernière, échappée d’un esclavage sexuel recherche sa sœur jumelle, Jane. Gréville la ramène dans son repère. Bientôt, deux solitudes vont s’unir. Et l’amour naîtra, mais cela a-t-il encore un sens dans un tel monde ? D’autant que Liz n’a pas abandonné le projet fou de retrouver sa sœur… quitte à chercher une aiguille dans une botte de foin.
Le romancier britannique Edmund Cooper (1926-1982) a été peu traduit en français. Bien qu’ayant relativement peu écrit (une centaine de nouvelles et sept romans), il joui d’une bonne réputation du côté anglo-saxon où « Le jour des fous » est considéré comme son roman le plus important. Tout comme bon nombre de ses écrivains de science-fiction compatriotes, il donne dans le roman catastrophe. Dans la lignée de H.G. Wells ou de John Wyndham, il signe avec ce roman un récit post-apocalyptique saisissant et étonnant, encore aujourd’hui, à plus d’un titre. D’abord on sera surpris par la violence crue et pourtant jamais gratuite de ces pages, l’auteur s’efforce de rendre son monde sans sens crédible et évocateur. Ensuite, les ruptures de rythme du roman, la sensation de perdition et de vagabondage des personnages impriment une marque résolument moderne à ce roman pourtant déjà vieux de plus de quarante ans. Et puis surtout, Edmund Cooper ne fait pas seulement de la science-fiction mais signe une grande histoire d’amour désespérée, et les quelques chapitres plus calmes au centre du roman, qui raconte la vie que Liz et Gréville mènent seuls dans leur repaire doré sont tout simplement magnifiques. Cooper se sert habilement de son contexte (un monde fini, à bout de souffle) pour décrire aux mieux les sentiments d’amour naissant entre ses personnages. Ce n’est jamais mièvre, jamais niais, c’est sombre et beau, romantique, au sens le plus noble du terme.

La dernière partie de l’aventure tient plus du roman d’action, plus conventionnel, pourrait-on dire même si elle ne dépare pas ce magnifique roman. Un grand œuvre, méconnue du lectorat français qui a été réédité tout récemment (octobre 2008) par les éditions Terre de brume.
Ma note : 9/10