J’avoue éprouver une fascination étrange pour ce roman pourtant, en définitive, pas spécialement extraordinaire. Et cela pour une raison assez amusante.
Résumons le propos : quatre individus prêts à se suicider sont embauchés par de mystérieux scientifiques qui leur proposent de prendre part à une expérience d’un nouveau genre, celle de vivre ensemble une aventure reliés à une étrange machine appelée synthétiseur de rêves. Les quatre individus se retrouvent donc dans un espace qui n’existe pas et élaboré par un ordinateur qui suit un programme prédéfini. Bon sang mais c’est bien sûr ! L’expression n’est pas utilisée mais il s’agit ni plus ni moins de « réalité virtuelle ». Sauf que là, Gabriel Jan nous parle de « rêve en commun » et non d’« espace virtuel » ou de « matrice ». Qu’est-ce qu’il a d’étonnant ce roman alors ? Ca sent un peu le Matrix du pauvre, tout cela. Et des Matrix du pauvre, il y en a déjà plein les librairies. Oui, MAIS PAS EN 1980 ! Ce roman a ceci d’étonnant qu’il a été publié en 1980 et que ce n’est qu’en 1985, soit cinq ans plus tard, que sera édité le Neuromancien de William Gibson, considéré comme le premier roman cyberpunk, le premier à utiliser le terme de réseau, de matrice au sens où on l’entend aujourd’hui. Je vous entends d’ici : qu’est-ce que tu me racontes-là ? Gabriel Jan, qui n’a rien d’un grand écrivain, juste un de ces faiseurs de la SF populaire vite écrite vite lue tel qu’on en trouvait dans la collection Anticipation du Fleuve Noir aurait été le précurseur de Gibson, chantre de la SF intellectuelle et branchée des années 80 ? Et bien oui, presque… presque parce qu’il manque tout de même quelques éléments pour que cela soit vraiment du cyberpunk avant la lettre. D’abord écarter l’idée et l’analogie du rêve, franchement mauvaise et boiteuse, ce que ne fait pas Gabriel Jan qui s’empêtre dans des explications foireuses à faire se retourner Sigmund Freud dans sa tombe. Ensuite, la fin du roman montre que ce n’était qu’un leurre et la véritable explication, elle, n’a plus cinq ans, mais semble toute droite sortie d’un roman de SF des années 50. Sur ce point, je n’en dirais pas plus pour ménager le suspense (bande de petits veinards !). Et voilà comment un roman qui aurait pu, à un cheveu près, être le premier d’un nouveau mouvement de SF (le cyberpunk) redevient en l’espace de 200 pages, de la « bonne » vieille SF populaire tout ce qu’il y a de plus old school.
Mais alors, il est à lire ce roman, oui ou non ? Foncièrement, non, pas plus celui-là que bien d’autres titres de la collection Anticipation. Car ce roman n’a pas comme seul défaut de louper le coche. Il est peuplé de personnages à la psychologie rudimentaires et rempli d’incessants dialogues ultra répétitifs, qui semblent destinés à rallonger inutilement la sauce d’un roman qui aurait pu être encore nettement plus mince. Le style est simple d’accès mais relativement plat. Bon, ça se laisse tout de même lire et la suite des évènements est relativement intriguante pour encourager la poursuite de la lecture...
Mais c’est surtout à lire si vous vous intéresser à l’histoire du sous-genre Cyberpunk et c’est assez instructif de voir comment un tireur à la ligne comme Gabriel Jan, décédé il y peu temps dans l’oubli le plus total des amateurs de SF, a pu, sans y parvenir vraiment, pressentir une des évolutions majeures de la science-fiction des années 80. Que tous les thèseux et autres doctorants qui s’intéresseraient à l’étude du genre puissent s’en rappeler et lui rendre justice !
Note : 5/10
on retrouve cette thématique (celle d'individus inter-connectés dans un rêve virtuel) au fleuve bien avant 1980, notamment dans Vendredi Par Exemple de Pierre Suragne (un excellent Suragne d'ailleurs), un hommage au P.K.Dick de Ubik.
RépondreSupprimerEt je suis sur que l'on peut découvrir d'autres exemples bien plus antérieurs en Anticipation que celui-ci... par exemple, un virus informatique (à la conception assez bâtarde au demeurant) est inventé par les héros d'Alerte Aux Robots de Jean-Gaston Vandel, le numéro 15 de la collection (1952 !)
Bref... il est toujours difficile de parler des origines du Cyberpunk... surtout si l'on considère que Simulacron 3 est possiblement le premier roman d'aventures cybernétiques et date du début des années 60...